
Liste des dictées disponibles
Les loups-garous
La Chasse-galerie de Honoré de Beaugrand
J’avais bien douze ou treize ans, et j’étais cook à bord d’un chaland, dont mon défunt père était capitaine. C’était le jour de la Toussaint, et nous montions de Québec, avec une cargaison de charbon, par une grande brise de nord-est. Nous avions dépassé le lac St-Pierre et sur les huit heures du soir, nous nous trouvions à la tête du lac. Il faisait noir comme le loup et il brumassait même un peu, ce qui nous empêchait de bien distinguer le phare de l’île de Grâce. J’étais de vigie à l’avant et mon défunt père était à la barre. Vous savez que l’entrée du chenal n’est pas large, et qu’il faut ouvrir l’œil pour ne pas s’échouer. Il faisait une bonne brise et nous avions pris notre perroquet et notre hunier, ce qui ne nous empêchait pas de monter grand train sur notre grande voile. Tout à coup, le temps parut s’éclaircir, et nous aperçûmes sur la rive de l’île de Grâce, que nous rasions en montant, un grand feu de sapinages autour duquel dansaient une vingtaine de possédés, qui avaient des têtes et des queues de loup et dont les yeux brillaient comme des tisons. Des ricanements terribles arrivaient jusqu’à nous, et on pouvait apercevoir vaguement le corps d’un homme couché par terre, et que quelques maudits étaient en train de découper pour en faire un fricot. C’était une ronde de loups-garous que le diable avaient réunis pour leur faire boire du sang de chrétien, et leur faire manger de la viande fraîche. Je courus à l’arrière pour attirer l’attention de mon défunt père et de Baptiste Lafleur, le matelot qui naviguait avec nous, mais qui n’était pas de quart à ce moment-là. Ils avaient déjà aperçu le pique-nique des loups-garous. Baptiste avait pris la barre et mon défunt père était en train de charger son fusil, pour tirer sur les possédés qui continuaient à crier comme des perdus, en sautant en rond autour du feu.